mardi 3 octobre 2017

"Une fille de..." de Jo Witek

Chronique du blog D'une berge à l'autre


« Moi je ne suis pas une enfant de l’amour, je suis une fille de passe. Ça calme. Ça tue d’entrée de jeu les rêves romantiques en rose et bleu. »

Une fille de passe, une fille de p… Hanna a compris très jeune ce que faisait sa mère pour payer le loyer, et le reste. Même si au départ ça restait un peu flou dans sa tête, au bout de quelques années tout était devenu très clair. Un « métier » à part, un statut impossible à assumer quand on est une fille de… Le regard des autres, ces phrases qui fusent, définitives, pour juger, condamner, exclure. Pas d’autre solution que le repli sur soi pour la jeune fille, pas question de lier des amitiés durables ou de ramener les copains et les copines à la maison.

Avec le temps surgissent les questions. Et si c’était héréditaire ? Et comment on fera quand maman ne sera plus en état de continuer, quand il va falloir la prendre en charge de A à Z ? Et comment imaginer que l’amour existe quand on voit sa mère suivre les hommes avec toujours la même froideur, quand on voit comment eux se comportent en consommateurs égoïstes et sans la moindre douceur ? Comment se construire et s’imaginer un avenir sentimental quand on est la fille d’un client parmi des milliers d’autres, quand on devient pour tous ceux qui connaissent la situation une pestiférée ou une proie forcément facile, puisque les chiens ne font pas des chats.

Une magistrale plongée dans la tête d’une ado pas vraiment comme les autres. Le monologue intérieur permet de focaliser le point de vue sur les pensées intimes d’Hanna, de montrer le cheminement qui va lui permettre d’accepter la situation, de garder intact son affection pour cette mère au parcours si difficile, de ne plus baisser la tête et d’affronter le regard des autres, de chasser cette honte qui n’a pas lieu d’être et d’accepter, devant l’évidence, que l’amour existe.

C’est beau, c’est fort, ça sonne juste, ça remue. Hanna court, elle trace le sillon d’une vie en dehors des sentiers battus. Et elle marque au fer rouge un lecteur qui jamais n’oubliera son histoire et sa voix.

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